Introduction

Vocation du site

La vocation de ce site est de rappeler que Molière est l’auteur des œuvres de Molière, que Molière auteur et Molière comédien sont une seule et même personne, que nul jusqu’au début du XXe siècle (à plus forte raison parmi ses contemporains) n’avait jamais émis l’esquisse de l’amorce d’un doute et qu’il n’existe effectivement AUCUN élément susceptible d’introduire le moindre doute.

Elle est aussi de rappeler que depuis qu’un doute infondé a été insinué au début du XXe siècle par le poète et romancier Pierre Louÿs — animé toute sa vie par une passion des pseudonymes et à la fin de sa vie par un véritable délire attributif à l’intention du seul Pierre Corneille —, des dizaines de milliers de personnes, tout au long du xxe siècle, se sont occupées professionnellement de Molière et de Corneille (professeurs de français de l’enseignement secondaire, professeurs de l’enseignement supérieur spécialisés dans l’histoire de la littérature et du théâtre comme dans l’étude de la rhétorique et de la stylistique, comédiens, metteurs en scène) et que aucun de ces spécialistes et de ces professionnels de la langue française, de la littérature et du théâtre, n’a jamais eu le sentiment que Pierre Louÿs avait pu avoir une intuition digne d’intérêt. Inversement, les quelques individus qui depuis un siècle ont pris fait et cause pour la « théorie Corneille » inventée par Louÿs sont tous venus de mondes extérieurs aux milieux des professionnels du théâtre que sont les comédiens, des professionnels des textes que sont les professeurs de lycée, des professionnels de l’histoire du théâtre et de l’étude de la langue que sont les professeurs de l’enseignement supérieur. Quelques personnes, donc, qui s’auto-proclament éclairées parce qu’elles ont lu des pages de Louÿs, se sont donc convaincues qu’il existait une «affaire Corneille-Molière» ou une « énigme Corneille-Molière » et tentent de faire partager leur foi, relayées par quelques journalistes et quelques animateurs de médias pour lesquels tout ce qui peut surprendre le public est bon à prendre. Et, sans autre preuve que leur propre conviction, ces personnes accusent l’université, l’État français, les théâtres et la Comédie-Française de chercher à étouffer la vérité et s’efforcent de multiplier à l’infini arguments sophistiques, études biaisées et fausses «preuves» à l’appui de la théorie de leur maître à penser.

Il faut donc ici préciser d’emblée que l’université, l’État français, les théâtres et la Comédie-Française n’auraient eu aucun intérêt à chercher à étouffer une théorie qui, si elle avait reposé sur un commencement de vérité, aurait offert à la France un inestimable atout dans un monde qui, même au plan du savoir et de la culture, est devenu concurrentiel: pouvoir se vanter de posséder un extraordinaire dramaturge alliant les génies de Molière et de Corneille et donc plus puissant encore que le plus grand des dramaturges occidentaux, Shakespeare. Mais non, hélas, n’en déplaise à Louÿs et à ses disciples, il faut nous contenter d’en rester avec notre génial Corneille et avec notre génial Molière : le siècle de Louis XIV n’a pas produit de «génie au carré».

Pourquoi ce site Molière-Corneille

Puisqu’il n’y a aucun doute, et qu’on pourrait se contenter de hausser les épaules et d’en rire, comme on ne peut que rire de ceux qui prétendent que Shakespeare n’a pas écrit ses pièces (voir l’article suivant du New Yorker, en anglais ou en traduction française), ce site devrait être totalement inutile et ce devrait être en pure perte que ses promoteurs lui ont consacré des milliers d’heures de travail, comme l’ont fait de leur côté les spécialistes de Shakespeare. Il est donc inutile, mais il a été rendu absolument nécessaire par le fonctionnement actuel des moteurs de recherche sur internet. Quiconque décide d’associer les noms de Molière et de Corneille sur un moteur de recherche tombe aussitôt sur quelques sites qui prétendent que Molière aurait été seulement (comme Shakespeare) un comédien inculte et un directeur de théâtre surmené, incapable intellectuellement et matériellement d’écrire les chefs-d’œuvre jouées et publiées sous son nom, et que Corneille serait le véritable auteur de ses principales comédies.

Les algorithmes de Google faisant ainsi « remonter », grâce à l’association de deux noms, des sites dont la seule vocation est de remettre en cause les connaissances pour leur opposer des allégations fondées sur les seules certitudes intimes de ceux qui les profèrent, il a fini par paraître nécessaire aux chercheurs de l’Université Paris-Sorbonne de créer un site qui aurait dû s’appeler « Molière-Molière », mais qui, sous ce nom, n’aurait pas été repéré par les algorithmes de Google, et qui s’appelle donc (algorithmes obligent) « Molière-Corneille ».

Un site nécessaire

Ce site qui devrait être inutile résulte ainsi d’une nécessité déontologique. La mission de l’Université dans notre société n’est pas seulement de créer du savoir, de le transmettre et d’offrir les moyens de l’enrichir ou de le transformer : elle doit aussi expliquer comment se constitue le savoir ; c’est-à-dire donner les instruments (aussi bien pour les sciences « dures » que pour les sciences humaines) pour comprendre comment s’élaborent les connaissances et permettre ainsi de faire la différence entre le savoir scientifique et le roman du faux savoir ; entre la description de la réalité et la construction d’une image fantasmée de la réalité.

Réalité historique et rêveries romanesques

Ce site rappelle donc que, envisagée sous l’angle scientifique, la réalité n’est pas un patchwork d’éléments disparates au milieu duquel la découverte d’une particularité jugée bizarre conduit à détruire tout le savoir qui jusqu’alors permettait d’appréhender et de décrire la réalité : en fait, la réalité est le résultat d’une construction opérée par les actes de dizaines, de milliers, quelquefois de millions d’acteurs interdépendants. C’est parce qu’il y eut d’innombrables acteurs interdépendants — depuis ceux qui ont rempli le combustible dans les fusées Saturne jusqu’aux millions de terriens ébahis devant leurs écrans de télévision en passant par les milliers d’ingénieurs de toutes nationalités qui ont pu suivre les trajectoires de départ et de retour de la capsule Apollo — que la remise en cause de l’alunissage des Américains en 1969 est une fable délirante qui ne convainc que quelques esprits : s’ils avaient été seuls devant leurs écrans de télévision, les terriens auraient certes pu être abusés par une habile mise en scène filmée dans un studio secret installé dans un désert; mais justement, ils étaient dans une réalité interdépendante construite par les dizaines de milliers d’hommes dont l’activité quotidienne menée pendant des années a permis à l’aventure lunaire d’aboutir. De sorte que, si bizarres soient-ils, des éléments comme le drapeau qui semble flotter dans une atmosphère sans air, des ombres projetées sur le sol de façon aberrante, etc, ne peuvent en rien venir infirmer la réalité de la marche sur la lune.

Réalité historique de Molière-auteur

En d’autres termes, la réalité historique de Molière-auteur est le résultat actuel d’une construction qui s’est élaborée au fil des siècles à partir d’une multitude de documents (consultables aujourd’hui encore) qui se font écho — lettres de contemporains, préfaces de Molière lui-même, préfaces et textes polémiques de ses amis et surtout de ses ennemis, textes officiels, gazettes, épitaphes, etc. Et cette construction progressive correspond à la construction que se faisaient, de son vivant, ses contemporains qui voyaient ses spectacles, lisaient ses textes, parlaient avec lui, etc, et qu’ils nous ont transmise. C’est pourquoi la réalité historique de Molière-auteur ne peut être remise en cause par le fait que tous ses manuscrits et toutes ses lettres ont disparu, qu’il y a quelques ressemblances de vocabulaire ici et là entre ses pièces et celles de Corneille et que Corneille a une fois, tout à fait officiellement (la collaboration fut annoncée par les gazettes contemporaines, puis confirmée lors de la publication), achevé la versification d’une pièce que Molière avait conçue, écrite en prose et dont il n’avait eu le temps de versifier que le premier quart. Autrement dit, la réalité historique de Molière ne peut pas être le résultat de la fabrication d’une nouvelle réalité à partir d’un raisonnement postérieur qui met en relation quelques éléments non liés entre eux :

  1. un élément jugé bizarre (la disparition de tous ses manuscrits — qui n’a rien d’exceptionnel à cette époque) ;
  2. un phénomène absolument normal (il y a des ressemblances de lexique et de versification entre les pièces en vers de Corneille et celles de Molière, mais ni plus ni moins qu’avec les autres dramaturges contemporains) ;
  3. un événement ponctuel (une unique collaboration entre les deux hommes pour Psyché, qui se limite simplement à la mise en vers par Corneille des trois quarts de la pièce entièrement rédigée en prose par Molière et déjà en partie versifiée).

En d’autres termes, la réalité historique de Molière-auteur est le résultat actuel d’une construction qui s’est élaborée au fil des siècles à partir d’une multitude de documents (consultables aujourd’hui encore) qui se font écho — lettres de contemporains, préfaces de Molière lui-même, préfaces et textes polémiques de ses amis et surtout de ses ennemis, textes officiels, gazettes, épitaphes, etc. Et cette construction progressive correspond à la construction que se faisaient, de son vivant, ses contemporains qui voyaient ses spectacles, lisaient ses textes, parlaient avec lui, etc, et qu’ils nous ont transmise. C’est pourquoi la réalité historique de Molière-auteur ne peut être remise en cause par le fait que tous ses manuscrits et toutes ses lettres ont disparu, qu’il y a quelques ressemblances de vocabulaire ici et là entre ses pièces et celles de Corneille et que Corneille a une fois, tout à fait officiellement (la collaboration fut annoncée par les gazettes contemporaines, puis confirmée lors de la publication), achevé la versification d’une pièce que Molière avait conçue, écrite en prose et dont il n’avait eu le temps de versifier que le premier quart. Autrement dit, la réalité historique de Molière ne peut pas être le résultat de la fabrication d’une nouvelle réalité à partir d’un raisonnement postérieur qui met en relation quelques éléments non liés entre eux :

  1. un élément jugé bizarre (la disparition de tous ses manuscrits — qui n’a rien d’exceptionnel à cette époque) ;
  2. un phénomène absolument normal (il y a des ressemblances de lexique et de versification entre les pièces en vers de Corneille et celles de Molière, mais ni plus ni moins qu’avec les autres dramaturges contemporains) ;
  3. un événement ponctuel (une unique collaboration entre les deux hommes pour Psyché, qui se limite simplement à la mise en vers par Corneille des trois quarts de la pièce entièrement rédigée en prose par Molière et déjà en partie versifiée).

Introduction orale au sujet :

la prétendue affaire Corneille-Molière et les théories de la «vérité cachée», par Georges Forestier


Du doute scientifique au doute négationniste

Raisons du doute scientifique envers des biographies non fiables

Ce qu’on appelle « l’histoire de la littérature » est une discipline qui s’est constituée très progressivement au XIXe siècle en empruntant une part de leurs méthodes aux autres disciplines scientifiques (grosso modo l’histoire d’un côté, la philologie de l’autre). Jusqu’alors, les connaissances sur les écrivains, leurs œuvres, les genres littéraires, les acteurs du milieu littéraire (et théâtral) résultaient de l’accumulation et de la réduplication des discours transmis au fil des siècles par les hommes de lettres. Ainsi, dans le cas de Molière, la publication au début du XVIIIe siècle d’une Vie de Molière due à un homme de lettres nommé Grimarest a servi de socle à toutes les connaissances jusqu’au milieu du XIXe siècle : Grimarest, indéfiniment recopié durant près de deux siècles, enrichi par des dizaines d’anecdotes apparues au fil du temps que d’autres hommes de lettres se sont empressés de compiler, a été aveuglément cité comme une source fiable, jusqu’à ce qu’apparaissent les premiers «historiens de la littérature» : les uns ont mis en commun les ressources disponibles en matière de philologie pour procurer la première édition scientifique des textes de Molière (c’est l’édition dite des « Grands Écrivains de la France », réalisée par Eugène Despois et Paul Mesnard) ; les autres se sont mis en quête de tous les documents authentiques concernant Molière et ont créé une revue intitulée Le Moliériste pour recueillir leurs nombreuses découvertes. La conjonction de leurs travaux a remis en cause la plupart des affirmations de Grimarest (y compris tout ce qu’il disait tenir de Baron, comédien vedette engagé à l’âge de dix-sept ans par Molière et passé aussitôt après la mort de celui-ci, moins de trois ans plus tard seulement, dans la troupe rivale), sans pour autant que les premiers historiens de la littérature osent ouvertement et franchement remettre en cause son autorité et surtout celle prêtée à Baron.

On comprend ainsi qu’il ait pu y avoir, au tournant du XIXe et du XXe siècles des raisons de douter de l’état des connaissances concernant Molière. À l’heure où l’Europe lettrée bruissait déjà des accusations lancées par quelques esprits sur le plus célèbre des comédiens-auteurs occidentaux (Shakespeare), tous les doutes devenaient permis. Surtout lorsque ces doutes se mirent à germer dans l’esprit d’un Pierre Louÿs, excellent écrivain qui après avoir connu une période de gloire avait sombré dans plus totale déchéance, littéraire, intellectuelle, psychologique, affective, physique et matérielle et dont toute la carrière avait été placée sous le signe de la supercherie littéraire et du pseudonyme.

Du doute scientifique au doute négationniste

Près d’un siècle plus tard, nous ne sommes plus dans la même situation et nos connaissances en matière de biographie, de bibliographie, de dramaturgie, de génétique théâtrale ont tellement progressé que reprendre aujourd’hui les argumentations de Louÿs revient à s’enfoncer dans une démarche anti-scientifique et au sens propre du terme négationniste : s’appuyant sur des remises en cause dépassées d’un état du savoir dépassé, les disciples de Louÿs s’écartent plus encore que leur maître (en partie excusable il y a un siècle) des acquis de la recherche scientifique pour proposer des montages personnels sans fondement.

Bref, sous le prétexte qu’on ne pouvait pas faire confiance à l’état du savoir scientifique à une époque où l’histoire de la littérature n’était pas encore une discipline des «sciences humaines», les disciples de Louÿs continuent de contester le savoir (devenu scientifique) et forgent des histoires purement inventées. Sous le prétexte spécieux de la libre recherche et de la libre parole, ils ont été conduits à faire feu de tout bois pour tenter de maintenir à flot le roman imaginé par Louÿs il y a un siècle. Ce faisant, ils se sont enfoncés dans une démarche consistant à nier les connaissances avérées, à inventer purement et simplement de fausses connaissances, à proposer des lectures biaisées des textes connus, à établir des relations forcées entre des faits indépendants les uns des autres ou des textes sans liens les uns avec les autres ; bref, ils se sont enfoncés toujours plus avant dans une démarche que dans d’autres secteurs des connaissances on qualifie à juste titre de négationniste.